Le mot de la semaine : spleen

Mains tapant sur une machine à écrire

C’est un mot qui évoque Baudelaire, la mélancolie et les promenades… Les fumées de locomotives, les portraits de femmes qui n’ont pas la force de sourire et (à peine) l’exaspération silencieuse de ceux qui travaillent. Baudelaire emprunte ce terme à l’anglais pour en faire le titre du plus célèbre recueil de poèmes en prose français. Mais que signifie donc le terme « spleen » en français ? Quels sont le sens et l’histoire du mot en anglais ? NewsInvest vous invite à les découvrir, en espérant ne pas vous désespérer à son tour.

Brève leçon d’anatomie

Le mot ‘spleen’ est, à l’origine un mot anglais désignant un organe bien connu : la rate. Situé à gauche de l’abdomen, près de l’estomac, ce viscère appartient au système lymphatique et remplit de multiples fonctions. Il produit des lymphocytes, filtre le sang, stocke des cellules sanguines et détruit celles qui sont dégradées.

Mais comment le sens strictement anatomique a-t-il dérivé jusqu’à la signification actuelle en français ? Faisons un détour par une étape essentielle de l’histoire médicale : la théorie des humeurs. Héritée du médecin grec Galien, elle attribue les différentes maladies du corps humain à un déséquilibre entre les humeurs. Celles-ci désignent des liquides corporels et sont au nombre de quatre. Chacune est associée à un organe et à une affection particulière. Or, on associe la rate à la bile noire. Une production excessive de bile noire est censée mener à la mélancolie : une humeur noire. La mélancolie désigne alors une condition bien plus sévère que le vague à l’âme qu’elle évoque aujourd’hui.

À cette époque, on considère que les passions excessives sont liées à des dérèglements des humeurs. C’est donc cette vision des affections mentales et corporelles qui motive l’utilisation ultérieure du terme ‘spleen’. La théorie des humeurs est encore employée par certains médecins au XIXe siècle, et son impact culturel sur la conception des passions a perduré bien plus tard.  

Le « mal du siècle »

Le mot est importé en français au XIXe siècle par le biais de la littérature. L’anglophilie d’une partie de la classe intellectuelle est responsable d’autres importations d’Outre-Manche. Mais c’est à Baudelaire en particulier que l’on doit l’introduction et la popularisation de ‘spleen’. En 1857 paraissent Les Fleurs du Mal, qui comprennent quatre poèmes intitulés « Spleen » :

Et, en 1869, Baudelaire publie Le Spleen de Paris, un recueil unique en son genre de poèmes en prose. Le mot ‘spleen’ est alors bien connu et employé dans les cercles littéraires. Hugo le met en effet dans la bouche de son personnage, Grantaire :

Oui, j’ai le spleen, compliqué de la mélancolie, avec la nostalgie, plus l’hypocondrie, et je bisque, et je rage, et je bâille, et je m’ennuie, et je m’assomme, et je m’embête !

Victor Hugo, Les Misérables, 1862, tome 3, livre IV

Cet état apathique, comparable à certains égards au « mal du siècle » de Musset ou au « vague de l’âme » de Chateaubriand, est l’image qui prévaut aujourd’hui.

Voilà, vous connaissez désormais l’origine du plus poétique des mots pour désigner le plus mélancolique des sentiments au cœur de la plus triste des saisons. En espérant que cette tristesse mêlée d’ennui profond ne vous aura pas contaminé à la lecture de ces quelques lignes, NewsInvest vous souhaite le bonjour !

Et à bientôt pour de nouvelles aventures ! ☺

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